Loi 2 sur la glace : quand l’argent fait miraculeusement disparaître toutes les crises
Le gouvernement recule, les fédérations exultent… et les patients attendent
Le gouvernement Legault vient de reculer. La loi 2, adoptée sous bâillon à la fin octobre, ne pourra pas entrer en vigueur le 1er janvier comme prévu. Officiellement, on parle d’un « report technique ». Dans les faits, c’est la preuve éclatante que Québec a mal ficelé son propre projet de loi et qu’il s’est retrouvé prisonnier d’une négociation qu’il n’a jamais vraiment contrôlée.
Pendant six semaines, les fédérations médicales ont crié au meurtre. Elles ont parlé de pertes de revenus massives, d’une menace à la prise en charge, de médecins au bord du départ. Elles ont effrayé la population sans nuance, refusé de négocier, et joué la stratégie du rapport de force maximal. Tout ça dans un système financé à 100 % par les contribuables.
Puis soudain, miracle : lorsque François Legault est intervenu personnellement et qu’on a ouvert la porte à davantage d’argent, l’impossible est devenu possible. On a parlé d’« excellente nouvelle », d’« entente gagnante » et de « prise en charge améliorée ». Bref, l’argent venait tout juste d’arriver, et tous les blocages se sont évaporés.
Il faut se dire les vraies affaires : nos médecins ne sont pas des salariés captifs du réseau. Ce sont des entrepreneurs privilégiés, dotés d’un statut unique dans le monde occidental. Ils ont les avantages fiscaux d’une PME, une clientèle garantie, aucune concurrence réelle, et des revenus qui dépassent largement les salaires des élites économiques. Quand seulement 5 % de la population québécoise gagne 200 000 $ par année, eux en gagnent souvent le double. Et lorsque l’État ose revoir les règles du jeu, la réaction est brutale, organisée, et terriblement efficace.
La loi 2 n’était pourtant pas mauvaise dans son intention. Depuis des années, tout le monde sait que le modèle de rémunération devra changer si on veut améliorer l’accès à la première ligne. Les Québécois veulent un médecin de famille, un suivi régulier, une relation qui ne dépend pas d’un corridor, d’une clinique hors réseau ou d’un algorithme du Guichet d’accès. Le problème, c’est que la CAQ a déposé un projet de loi bâclé, truffé de calculs erronés, d’angles morts et d’imprécisions. Les fédérations s’y sont engouffrées à pleine vitesse.
On ne peut pas reprocher aux médecins d’être intelligents. On peut leur reprocher d’avoir fait peur à la population pour faire avancer leurs intérêts financiers.
Les événements des derniers jours l’illustrent encore plus. Les négociations étaient rompues. Christian Dubé était isolé. Les médecins omnipraticiens refusaient même de s’asseoir avec le gouvernement. Mais dès que Legault a mis son poids politique et ouvert la porte à davantage d’argent, une entente de principe est apparue. Duranceau est intervenue, non pas pour « tasser » Dubé, comme certains commentateurs l’ont suggéré, mais pour sauver le dossier avant qu’il ne devienne un désastre complet. Et Dubé, malgré tout, reste celui qui portera la nouvelle version de la loi en février.
Parce que oui, il y aura une nouvelle loi. On ne sait pas encore si elle s’appellera toujours « loi 2 », mais on sait déjà ceci : elle sera réécrite pour rassurer les fédérations, clarifier les cibles, et intégrer ce fameux « incitatif financier » qui semble être la baguette magique de notre réseau de santé.
Pendant ce temps, la Fédération des médecins spécialistes jubile. Elle parle d’un « gain majeur », elle publie des notes internes victorieuses, et elle espère maintenant obtenir sa propre part des nouveaux bonbons. C’est devenu un réflexe : on brandit la menace, on bloque les négociations… et on attend que le premier ministre appelle.
Le gouvernement, lui, souffle. Il vient peut-être de sauver ses Fêtes. Dans les chaumières, on parlera un peu moins du fiasco SAAQclic, de la crise énergétique, des listes d’attente ou de l’itinérance. On dira : « Au moins, ils se sont entendus avec les médecins. » C’est exactement ce que la CAQ souhaitait.
Mais au milieu de cette danse politique, il reste un acteur qu’on oublie systématiquement : le citoyen.
Celui qui n’a toujours pas de médecin de famille.
Celui qui attend un rendez-vous depuis des mois.
Celui qui se fait dire d’aller à l’urgence pour un problème banal.
Celui qui paie la facture salée du système… sans recevoir le service promis.
Pour lui, une entente de principe ne change rien aujourd’hui. Et une nouvelle loi, réécrite pour ménager les corporations médicales, ne garantit absolument pas que la prise en charge va s’améliorer demain.
C’est ça, la réalité que personne ne dit : le Québec n’a pas un problème de rémunération médicale. Il a un problème de culture médicale. Un système où les professionnels ultraprivilégiés dictent les conditions, où les fédérations tiennent lieu de ministères parallèles, où le gouvernement tremble à l’idée d’une confrontation durable, et où l’intérêt du patient arrive — encore — en dernier.
Le report de la loi 2 n’est pas une victoire pour les médecins. Ce n’est pas une victoire pour la CAQ. Ce n’est pas une victoire pour les oppositions.
C’est un simple aveu : dans ce rapport de force, le gouvernement ne décide jamais vraiment.
La seule question qui compte maintenant :
Est-ce que le citoyen, lui, verra enfin la couleur d’un médecin de famille… ou devra-t-il, encore une fois, attendre que l’argent parle à sa place ?

