Syndicats, PL3, PL14 : un contre-pouvoir fragilisé… et une population prise en otage
Entre les abus syndicaux, les lois Boulet et l’indifférence populaire, le Québec redéfinit son équilibre démocratique — et le citoyen pourrait être le grand perdant.
La fin de semaine nous a offert une scène typiquement québécoise : un gouvernement qui pousse fort, des syndicats qui dénoncent une attaque historique contre leurs droits… et pourtant une rue beaucoup moins remplie que prévu.
À peine 50 000 personnes pour protester contre PL3 et PL14, alors qu’il y a plus de 1,2 million de syndiqués au Québec.
Ce fossé entre le discours des centrales et la mobilisation réelle en dit long.
Il parle d’un mouvement syndical essentiel, mais affaibli.
D’un gouvernement qui profite de cette faiblesse.
Et d’une population qui ne se sent plus interpellée.
Les syndicats se présentent comme les gardiens de la démocratie… mais leur bilan n’est pas irréprochable
On reconnaît aux syndicats un rôle fondamental dans l’histoire sociale du Québec. Ils ont amélioré les conditions de travail, imposé des normes qui profitent même aux non-syndiqués, élevé le niveau d’équité et de sécurité dans la société.
Mais il faut aussi regarder en face les contradictions.
Quand la FAE décide d’utiliser environ 2 millions $ pour contester la loi 21 — une loi issue d’une promesse électorale claire d’un gouvernement majoritaire, et appuyée par une majorité de Québécois — on ne peut pas prétendre qu’il s’agissait d’une décision enracinée dans la volonté des membres.
Des votes tenus en pleine nuit, quand seuls les militants les plus mobilisés restent.
Une orientation politique imposée sans véritable consensus.
Une base syndiquée qui n’a jamais validé cette démarche.
Ce type d’épisode alimente aujourd’hui la méfiance envers les directions syndicales.
Et cette méfiance, on la voit dans les chiffres : la rue ne suit plus.
Loi 14 : la réponse directe à une dérive syndicale majeure
La loi 14 ne sort pas de nulle part.
Elle est la réaction politique — calculée, certes — à un abus syndical qui a laissé des traces profondes : la grève des enseignants de 2023.
Cette grève, lancée par la FAE le 6 novembre 2023, s’est prolongée jusqu’au 28 décembre 2023.
Presque un mois complet de classe perdu pour des centaines de milliers élèves.
Un mois.
C’est colossal.
Ce n’était pas une simple grève tournante ou un moyen de pression symbolique. C’était un arrêt total des services éducatifs dans une partie majeure du réseau public, en pleine année scolaire.
On peut bien dire que c’était « pour les élèves ».
Mais au final, ce sont des gains salariaux qui ont été obtenus.
Et ce sont les élèves — pas les négociateurs — qui ont assumé le coût humain et académique.
Un mois perdu, ça laisse des séquelles :
un jeune en difficulté qui décroche
un enfant qui commence son parcours
un finissant qui préparait ses examens
un élève vulnérable qui perd ses repères
un adolescent qui avait enfin trouvé son rythme
Certains rattraperont.
D’autres non.
Et ces dommages-là sont irréversibles.
Le plus troublant, c’est qu’une telle prise en otage était parfaitement légale.
C’est ça qui a déclenché la réflexion politique : jusqu’où peut aller un droit de grève lorsqu’il prive toute une génération d’un mois de scolarité ?
La ministre Boulet le résume ainsi : certaines grèves créent des « impacts disproportionnés » pour la population.
Et on peut ne pas aimer la loi 14 — mais impossible de nier que la grève de 2023 a dépassé une ligne que la société ne pensait jamais voir franchie.
PL3 : un ministre qui pousse trop loin — volontairement
Maintenant, il faut être lucide : ce n’est pas parce que certains syndicats ont abusé qu’on doit accepter tout ce que propose Boulet.
Dans PL3, plusieurs articles sont juridiquement fragiles :
intrusion dans la vie interne
restrictions au financement
obligations bureaucratiques lourdes
risques pour la liberté d’association
enjeux constitutionnels évidents
Des juristes le disent : certaines parties de la loi ne passeront probablement pas en cour.
Mais Boulet n’est pas naïf.
Il est avocat.
Il sait exactement ce qu’il fait.
Il mise sur le temps.
Même si les syndicats contestent, la loi restera en vigueur pendant des années.
Le temps que la cause traverse la Cour supérieure, la Cour d’appel, la Cour suprême.
Et pendant ces années-là, le gouvernement pourra remodeler la structure syndicale en profondeur.
Même si certains articles tombent un jour, le rapport de force aura déjà changé.
C’est une stratégie froide — et redoutablement efficace.
La population non syndiquée : l’angle invisible du débat
On l’oublie trop souvent : le Québec compte plus de non-syndiqués que de syndiqués.
Et cette majorité n’a pas toujours de sympathie pour le mouvement syndical.
Pour un travailleur précaire, un employé à temps partiel ou quelqu’un sans protections, voir des travailleurs syndiqués revendiquer davantage peut créer de la lassitude, voire une forme de jalousie sociale.
Le gouvernement le sait.
Les syndicats aussi.
Ce manque d’empathie populaire rend plus facile le passage de lois comme PL3 et PL14.
Il affaiblit le rapport de force syndical.
Il fragilise un contre-pouvoir historique.
Mais cette perception est trompeuse.
Même un non-syndiqué profite indirectement de la force syndicale :
salaires plus élevés
meilleures normes
plus de protections
conditions de travail rehaussées
Quand les syndicats reculent, ce sont tous les travailleurs qui finissent par reculer — même ceux qui pensent ne pas avoir besoin d’eux.
Une démocratie en bascule
C’est ça qu’il faut comprendre.
Les syndicats demeurent un contre-pouvoir essentiel, mais ils ont parfois abusé de leur propre influence au point de perdre une partie de leur légitimité publique.
Le gouvernement, lui, pousse trop loin, mais avec une confiance nourrie par l’impopularité croissante des centrales.
La population non syndiquée regarde tout ça à distance, convaincue que ce débat ne la concerne pas — alors qu’il façonnera ses conditions de travail futures.
PL3 et PL14 ne sont pas que des projets techniques.
Ce sont des lois qui redéfinissent l’équilibre du pouvoir pour une génération.
Quand un contre-pouvoir s’affaiblit, ce n’est jamais la population qui y gagne. Ce n’est ni la majorité, ni les plus vulnérables : c’est uniquement le gouvernement qui devient plus puissant, et c’est le citoyen — tous les citoyens — qui se retrouve plus exposé.

